Figures de l'absence ou l'autoportrait autrement…
Le choix du thème de travail par les membres de Saint-Louis pour la Photo, (Collectif de photographes), à l’issue d’un vote fût défini ainsi : il s’agissait de produire 7 images sur le thème de l’autoportrait. Pour ma part il me semble intéressant à travers ma participation à cet exercice, d’analyser après-coup, comment les idées viennent, en tous les cas me sont venues, et comment elles ont modelé mon intervention, ce que l’on peut résumer en deux ou trois mots «conscient» «inconscient» et «hasard»… A partir du moment où j’ai eu connaissance du thème je suis donc entré dans ce projet, ou plutôt c’est lui qui est entré en moi devenant une sorte de présence qui m’envahit, et qui me fait aussi être en alerte permanente… C’est ainsi qu’en feuilletant début avril, le bulletin municipal de la ville de Belfort, ville où je réside, que je vois l’annonce d’un workshop de trois jours avec Agnieszka PODGORSKA sur le thème de l’autoportrait, à destination des étudiants de l’école d’Art de la ville. Le hasard donc, qui sur l’instant n’a pas pu porter ses fruits, pour des raisons d’agendas non compatibles avec l'artiste, mais qui a été l’occasion d’initier une rencontre d'Agnieszka dans son atelier sur Dijon, un peu plus tard. Une autre figure plutôt inconsciente importante à l’origine de ma démarche est le peintre Gustave COURBET, qui à travers son tableau «l’atelier du peintre» se représente entouré d’un certain nombre de personnalités qui ont compté pour lui, dont il dit «…c’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions…» La troisième source d’inspiration consciente fut ce courant d’études linguistiques s’intéressant à l’effacement énonciatif (EE) qui conduit à l’effacement de l’énonciateur au profit d’une sorte de discours «pseudo-objectif», que l’on observe fréquemment dans le discours journalistique. Les buts de cet effacement sont pluriels, il augmente l’apparente objectivité de l’article, puis renforce le degré de vérité de l’information délivrée, et enfin il permet d’échapper à la critique de parti pris sur le sujets polémiques en juxtaposant des contenus contradictoires dans une forme de neutralité apparente… Le spécialiste de ces questions est Alain RABATEL qui a beaucoup travaillé et écrit sur ce thème (cf. biblio infra) Ainsi l’idée de m’absenter d’une certaine manière de la représentation photographique a pris corps si je puis dire dans cette dernière source… J’imaginai me représenter à travers d’autres personnes qui ont compté pour moi dans cette période de ma vie où - à la suite d’une rupture sentimentale et affective - j’ai repris intensément la photographie passion qui était en sommeil depuis de nombreuses années. Parmi ces personnes je pensai à Agnieszka bien sûr, à mon ex-compagne (Angélique) qui me connaît assez bien, et à des photographes des deux collectifs auxquels je participe depuis la reprise de cette activité, il me semblait important que la photographie d’une manière ou d’une autre soit très présente devant mon désir de m’absentifier de l’image… sous forme d’image de moi. Je rédigeai ainsi un texte que je soumis aux personnes pressenties afin d’obtenir leur accord de principe sur leur participation au projet, sachant que je devais me limiter à 7 images, que je tenais à la présence d’Agnieszka et d’Angélique il ne restait que 4 ou 5 protagonistes sollicitables, choix difficile car j’apprécie bon nombre des collègues des deux collectifs et ce sont un peu des considérations d’équilibre entre hommes/femmes et de logistique qui ont présidé à la sélection. J’avais modélisé de manière très simple ce que je comptais faire au niveau énonciatif soit : Comment peut-on considérer l’autoportrait classique en termes d’énonciation, de manière simple il s’agit de JE qui «parle» de JE ou qui montre JE (sous différentes formes…) Ici par un jeu sur le dispositif d’énonciation je souhaitais parvenir à ce que cela se présente sous la forme : JE «parle» ou montre IL/ELLE qui d’une façon ou d’une autre «parle» ou montre le JE initial… En quoi cela est «auto» ? En raison du choix opéré par JE des figures actualisées présentant JE autrement… et si c’est JE qui réalise la prise de vue. En quoi c’est un portrait ? Possibilité de présenter différentes facettes du personnage JE… sous des formes autres que l’image elle-même. A l’occasion de la rencontre d’Agnieszka j’avais déjà cette idée de prise de vue des personnes sollicitées dans leur contexte de travail, elle a facilement accepté que je la photographie à son bureau en train d’écrire mon nom sur une feuille de papier. A l’issue du début du travail avec Agnieska la conception initiale s’est un peu enrichie, à savoir, envisager que chaque personne photographiée mentionne une qualité ou un défaut me concernant en plus de la mention de mon nom sur une feuille comportant donc mon nom, une ou plusieurs qualités ou défauts, le lieu, la date et la signature. Le dispositif s'est aussi complété par une forme de mise en abyme, la dernière photo réalisée étant placée sur un écran visible du point de vue envisagé... Puis ce qui m'apparaît maintenant avec le recul c'est l'importance de la dimension inconsciente, ou de celle du hasard, qu'il s'agisse de la photo initiale avec Agnieska en raison de la présence du livre "une image peut en cacher une autre" qui n'est pas du tout de l'ordre de la mise en scène, elle ne savait pas que j'allais lui proposer de la prendre en photo, et lorsque j'ai fait la prise de vue, j'ai bien vu ce livre mais sans y accorder une importance particulière... Dimension inconsciente aussi dans le fait qu'il m'est revenu au fil des prises de vue l'origine possible de cette idée avec le souvenir d'une lecture un peu ancienne d'un ouvrage de Roland BARTHES "Roland BARTHES par Roland BARTHES" où la photographie est très présente, et où il s'agit aussi d'une forme d'autoportrait avec un dispositif d'énonciation intéressant, Roland BARTHES se décrivant assez fréquemment sous la forme de "il" ou parfois "RB"... mettant ainsi une distance entre lui écrivant et le texte le concernant, ce qui m'avait beaucoup séduit à l’époque et que j'ai probablement eu envie de reproduire en m'absentant de la représentation imagée... J'ai donc à la manière de Gustave COURBET réuni autour de moi quelques personnes qui ont pu compter pour moi, dans cette toute dernière période, j'ai choisi cette forme sans consciemment faire le lien avec Gustave COURBET, c'est aussi dans l'après coup que j'y vois une relation. D’autres lectures ou interprétations feraient le bonheur des psychanalystes, effacement de l’auteur comme préfiguration d’une disparition à venir…!!! Mais comme disait mon maître à penser, c’est probablement la toute dernière chose que je ferai sur terre… Quelques indications bibliographiques : "Roland BARTHES" par Roland BARTHES 1975 - Éditions du Seuil collection «écrivains de toujours» Paris - 192 p BARTHES Roland 1980 "La chambre claire - note sur la photographie" Éditions Gallimard - Paris - 194 p RABATEL Alain 2004 «L’effacement énonciatif dans les discours rapportés et ses effets pragmatiques» in revue Langages n°156 décembre 2004 Larousse - Paris - 3-17 RABATEL Alain 2008 «Homo narrans - pour une analyse énonciative et interactionnelle du récit» Éditions Lambert-Lucas - Limoges - 690 p FRIED Michael 1990 «Le réalisme de Courbet» Éditions Gallimard collection NRF essais - Paris - 416p